Cette oligarchie qui régente le monde, à l’origine de la montée des extrêmes ?

Voici un article de Jolpress consacré à un ouvrage géopolitique qui vient de sortir. Je trouvé cela intéressant sur le principe, mais je n’ai pas eu le temps de lire ce livre pour le moment mais la thèse évoquée me semble devoir être gardée dans un coin de la tête.

Charles SANNAT

Depuis la chute du Mur de Berlin, le système international est devenu une sorte d’énigme, que les spécialistes peinent à décrypter et à qualifier. Dans La diplomatie de connivence : Les dérives oligarchiques du système international, Bertrand Badie dénonce ce système international qui continue d’obéir à une logique oligarchique où une poignée de pays riches a le pouvoir de prendre des décisions à portée mondiale. (Extraits).

Vit-on désormais dans un monde « post-bipolaire » – selon une catégorie héritée du passé –, « unipolaire » – ce que dément l’impuissance américaine – ou « multipolaire » – alors que les puissances moyennes démontrent une faible attractivité ?

Derrière ce flou terminologique se dissimule une continuité profonde : la prétention des plus « grands », formalisée à partir de 1815 à travers une « diplomatie de concert », à se partager le pilotage du monde. On retrouve aujourd’hui cet entêtement oligarchique dans les nouveaux « directoires du monde » que seraient le G8 puis le G20, qui renouvellent pourtant les blocages.

S’auto-légitimant autour de notions telles que l’« Occident » et la « démocratie », la « diplomatie de connivence » – telle que Bertrand Badie la qualifie – conduit à des conflits (Afghanistan, Irak) qui ensuite lui échappent. Figée dans un fonctionnement d’exclusion, elle suscite la contestation d’États (Iran, Venezuela), d’opinions publiques et d’acteurs – parfois armés – frustrés d’être écartés de la prise de décision. Limitée dans ses performances et protectrice de ses privilèges, elle met en scène la volonté de résoudre de grandes crises, comme celles affectant l’économie mondiale, sans parvenir à des réformes concrètes.

Phénix médiocre qui renaît toujours de ses cendres, la « diplomatie de connivence » est examinée ici dans son histoire, ses fonctions, et ses échecs. Bonne manière d’explorer aussi la notion obscure de « système international ».

Extraits de La diplomatie de connivence : Les dérives oligarchiques du système international, de Bertrand Badie (Editions La Découverte)
On pouvait croire que le nouveau monde d’après 1989 serait celui du multilatéralisme. La mondialisation se conjuguait à la perfection avec cette technique nouvelle de gouvernance ; l’équilibre de la terreur ne bloquait plus le jeu de la délibération collective ; à l’heure où se formulait le désir d’universel et où s’imposait l’idée de « bien commun de l’humanité », le compromis multilatéral valait manifestement mieux que la connivence oligarchique, même si tout le monde savait qu’on n’était pas encore arrivé au stade de la concorde.

Alors que le choix rationnel faisait plus que jamais office de paradigme dominant, l’argument était même très fort : la connivence devient plus coûteuse, alors que les interdépendances vont en se renforçant ; partager ou dissimuler la faute de l’autre devient de plus en plus onéreux, tandis que l’art du compromis ou de la coopération peut au contraire réduire les incertitudes et diminuer le montant de la facture…

Il y avait pourtant un obstacle : le compromis éteint la puissance, implique un ajustement a priori entre les intérêts qui sont en jeu ; il suppose aussi de reconnaître l’autre comme égal de soi, joueur à part entière. Une inclusion manquée, peut-être trop massive dans le volume qu’elle impliquait, une domination déstabilisée, un registre de puissance diversifié : il n’en fallait pas plus pour que le compromis multilatéral parût peu attractif, que les « grands », les « demi-grands » et les « moyens » choisissent à nouveau le jeu oligarchique pour s’imposer comme les « nouveaux aristocrates » du monde.

À mesure que se faisait jour la réaction nobiliaire, face à un tiers état plus étoffé que jamais, les contradictions et les périls venaient conquérir les consciences. Reconstituer un club, mais avec qui ? Fallait-il inviter aussi les « nouveaux riches », les « parvenus » du système international, les émergents, BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine), IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud), les seigneurs du pétrole, nouveaux venus de la diplomatie mondiale ? Ou rester entre soi, héritiers des vieux concerts et garants de la démocratie libérale, réunis dès 1975, « au coin du feu » à Rambouillet ? Une formidable tension, bien connue de la science politique, s’est ainsi installée entre l’idée d’oligarchie et celle d’aristocratie. Elle ne s’annonçait pas facile à surmonter, car révélant toutes les contradictions de la politique mondiale.

D’une part, le choix oligarchique l’emportait en raison : les forts devaient s’unir pour garder leur force et éventuellement ajuster leurs intérêts. D’autre part, la culture aristocratique vivait une évidente restauration : l’effondrement du camp socialiste, le maintien stratégique de l’Alliance atlantique, la menace associée à toute altérité montante impliquaient un effet d’autopromotion et d’autoprotection.
Il est peu probable que l’arbitrage fût le bon. Il approuvait ce qu’on ne voulait pas voir : l’oligarchie crée la marginalité, qui suscite de la violence, elle-même source de crispation chez le « fort » qui se sent menacé. Cette montée aux extrêmes a contribué à forger des politiques étrangères dont on devine aisément les incohérences, et dont nous verrons plus tard, qu’elles entretiennent un univers de contestation qui a de plus en plus de mal à trouver sa place au sein du nouveau système international.

En fait, en ne cessant de s’entrechoquer, oligarchie, aristocratie, plèbe marginalisée et parfois exclue dessinent en contrepoint ce besoin d’universel et cette culture du multilatéralisme qui s’imposent bien davantage dans les consciences et dans les esprits que dans les faits. Ce mouvement étrange engendre aussi des formes de conflits qui n’avaient rien de nécessaires, mais qui, peu à peu, construisent de nouveaux alignements, dont il est de plus en plus difficile de se détacher. Il dessine les contours d’un nouveau jeu collectif, trame discrète du nouveau jeu international.

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