PARIS, 13 juin – Dans une interview exclusive accordée récemment à Xinhua, l’économiste français Thomas Piketty souligne le risque que fait peser la montée des inégalités partout dans le monde.
« Les inégalités au-delà d’un certain niveau deviennent inutiles pour la croissance et même nuisibles parce qu’elles contribuent à la fragilisation du système économique et du système financier », affirme Thomas Piketty, dont le dernier livre Le Capital au XXIe siècle est un best-seller.
Les inégalités ont, d’après lui, fortement augmenté dans le monde : « Il y a une réalité de la montée des inégalités et en particulier une très forte progression des très hauts patrimoines. Tous les classements des grandes fortunes publiés dans les magazines montrent que ces patrimoines ont progressé beaucoup plus vite que le patrimoine moyen. »
M. Piketty détaille cette augmentation : » Les plus hauts patrimoines ont progressé de l’ordre de 6 % ou 7 % par an au-dessus de l’inflation. Alors que le patrimoine moyen au niveau mondial a progressé de seulement 2 %. Si le haut de la distribution progresse trois fois plus vite que la moyenne, vous voyez bien qu’à long terme il y a un problème et qu’on va vers une inégalité croissante. »
Le sujet des inégalités est au cœur de son nouveau livre, Le Capital au XXIe siècle, qui rencontre un très grand succès. Cette performance attire aussi certaines critiques. Certains en Amérique n’hésitent pas à comparer l’économiste français à un « nouveau Karl Marx ». En effet, Thomas Piketty critique fermement les très hauts revenus et appelle à plus d’impôts contre les grandes fortunes. Pourtant, il se défend de tout lien avec le célèbre économiste allemand qui a rédigé Le Capital.
« Mon livre n’a rien à voir avec celui de Karl Marx parce que c’est un livre d’histoire alors que le livre de Marx est quand même plutôt théorique et très spéculatif », se défend-il.
Thomas Piketty démontre dans son livre que les fortes inégalités sont mauvaises pour la croissance des pays. En prenant l’exemple des États-Unis, il constate que les inégalités n’ont fait qu’augmenter depuis les années 1980 et que pendant ce temps la croissance a été « médiocre » avec seulement « 1,5 % du PIB par an par habitant « .
« Si les trois quarts de cette croissance médiocre vont aux revenus les plus élevés, ce n’est pas bon pour le reste de la population, critique-t-il. Vous avez une stagnation du revenu médian, une montée de l’endettement des ménages et cela a contribué à la fragilisation du système financier et finalement à la crise financière de 2008. »
Thomas Piketty déplore également que cette dernière crise « a un peu changé les esprits mais pas complètement. On continue à être dans une phase idéologique de foi excessive dans le marché ».
Pour réduire les inégalités, l’économiste français propose plusieurs solutions.
« La solution d’une façon générale c’est la démocratie, les institutions démocratiques et la transparence financière et économique pour faire en sorte que l’intérêt commun l’emporte sur les intérêts privés et que la démocratie l’emporte sur le capitalisme et non pas que le capitalisme contrôle la démocratie. Pour cela, je pense que l’impôt progressif sur le capital est la bonne solution », dit-il.
À ceux qui avancent qu’un fort taux d’imposition risquerait de décourager l’innovation et la croissance, Thomas Piketty estime que « si les plus hauts patrimoines progressent de 6 % ou 7 % par an, un taux d’imposition sur le patrimoine de 1 % ou 2 % par an ne va pas tuer l’économie ».
L’économiste français remet également en question les hauts salaires des dirigeants de grandes entreprises.
« Est-ce que, quand on paie un manager d’une grande entreprise 10 millions de dollars par an au lieu de 1 million, est-ce que c’est utile en terme de performance ? Quand on regarde les données statistiques, on a franchement du mal à voir les effets en terme de performance. »
Thomas Piketty est donc en faveur d’un « taux d’imposition extrêmement élevé » pour les revenus supérieurs à 1 million de dollars par an. Pour défendre cette position, Thomas Piketty rappelle qu’aux États-Unis « entre 1930 et 1980, le taux supérieur d’imposition sur les revenus au-delà d’un million de dollars était en moyenne de 82 % ! Non seulement ça n’a pas tué le capitalisme américain mais il y avait plus de croissance aux États-Unis dans les années 1950-1970 qu’il y en a depuis les années 1980 ».
Enfin, l’économiste appelle à une lutte concertée contre les inégalités au niveau mondial. Après avoir rappelé que les États-Unis, l’Union européenne et la Chine représentent les trois quarts du PIB mondial, il espère que ces trois blocs régionaux pourront s’entendre sur des mesures contre les inégalités en ayant par exemple des « registres de titre financier permettant de savoir qui possède quoi. »
Agence de Presse Xinhua