Un défaut grec est-il possible ? Par Jacques Sapir

J’apprécie beaucoup les analyses de Jacques Sapir sur les dossiers russe ou grec. Voici son dernier papier. Je vous souhaite une excellente lecture. Vous aurez en particulier les chiffres des remboursements à venir grecs et les différentes échéances.
Charles SANNAT
Drapeau de la Grèce
© REUTERS/ Alkis Konstantinidis
La question d’un possible défaut de la Grèce dans les jours, voire les semaines qui viennent est désormais régulièrement posée. Mais elle se combine aussi avec l’étranglement financier de la Grèce mis en place par l’Union européenne et la BCE afin de faire plier Syriza.

La Grèce et les remboursements

La Grèce doit, on le sait, de l’argent au FMI, à la BCE ainsi qu’aux différents fonds d’aides (MES et FESF). Les échéanciers des remboursements jusqu’au 19 juin sont les suivants :

Graphique 1

Échéanciers des remboursements

Graphique 1
On constate qu’à part de petits remboursements à la BCE, l’essentiel, du moins jusqu’au 19 juin, sera les remboursements aux FMI (2,54 milliards d’euros). Or, le Fond Monétaire International s’est montré bien plus « souple » que la BCE ou de l’Eurogroupe qui supervise les paiements à faire pour le MES et le FESF. Il n’est donc pas exclu que l’on trouve un arrangement sur ces 2,54 milliards d’euros. Mais, un tel arrangement ne saurait être que provisoire. Après le 19 juin, la Grèce devra rembourser, entre le principal et les intérêts, environ 7 milliards d’euros aux diverses institutions européennes entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet. Le gouvernement grec a dit, à de nombreuses reprises, qu’il ne ferait pas ces paiements car ces derniers prélèveraient sur le (petit) excédent fiscal primaire qu’il réalise et qu’il souhaite affecter tant à des mesures de soutien à la population qu’à des mesures de relance de l’activité économique. L’Eurogroupe, pour l’instant, refuse cette solution et refuse même de négocier sur la dette, et cherche à imposer des réformes qui, outre qu’elles sont inutiles (1), sont refusées par le gouvernement grec. Nous sommes donc dans une impasse. Il s’en déduit qu’un défaut de la Grèce peut survenir dans les semaines qui viennent, mais surviendra de toute manière entre la fin juin et le début du mois de juillet. Sauf si, d’un côté ou de l’autre, un changement de position survient.

Une crise de liquidité

Pour chercher à faire céder la Grèce, et imposer une politique dont les électeurs grecs clairement ne veulent pas comme ils l’ont montrés lors des élections du 25 janvier, l’Eurogroupe institue un rationnement dans l’offre de liquidité à l’économie grecque. La Banque Centrale Européenne a « déconseillé » aux banques grecques d’acheter des bons du Trésor, elle a exclu de fait la Grèce du mécanisme d’aide d’urgence à la liquidité (ou ELA), et relève très lentement le plafond de ses offres de liquidités. Un auteur de la revue américaine Foreign Policy, qui ne peut être considérée comme d’extrême-gauche, va jusqu’à parler des « dirty tricks », soit des « sales magouilles », de la Commission de Bruxelles vis à vis de la Grèce (2). Cette situation, couplée avec les retraits des banques grecques et les sorties de capitaux qui ont atteint un niveau très élevé en mars dernier confronte le pays avec le risque que son économie, affaiblie par les mesures d’austérité mises en place par le « protectorat » européen, ne s’effondre rapidement. Les deux problèmes deviennent liés car si la Grèce fait défaut sur ses remboursements extérieurs, la BCE ne pourra plus légalement financer les banques grecques. Le défaut provoquera la crise de liquidité.
Euro grec

Le problème politique

Cela en dit long sur le cas que font de la démocratie des principaux responsables européens, et en particulier de M. Jean-Claude Juncker (un multirécidiviste sur ce point qui avait déclaré à la suite de cette élection du 25 janvier « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » (3)) ou M. Moscovici. Ajoutons que les récentes déclarations de M. Schäuble (4) vont parfaitement dans ce sens. On mesure que le mot « démocratie » n’est qu’un slogan sans contenu et vide de sens pour les dirigeants de l’Union européenne. Un hochet qu’ils agitent quand cela les arrange en politique étrangère, mais dont ils ne veulent pas entendre parler dès qu’il faudrait réellement appliquer ces mêmes principes au sein de l’UE. Le gouvernement grec a construit sa stratégie sur le fait que l’Eurogroupe aurait bien plus à perdre que la Grèce à une crise. C’est entièrement exact.

Mais, là où le gouvernement grec erre, c’est qu’il pense que les décisions au niveau de l’Eurogroupe seront prises sur la base d’intérêts économiques. En fait, les gouvernements des pays de la zone euro ont investi énormément dans la dimension politique et symbolique. L’euro n’est pas seulement une monnaie ; c’est un projet politique et symbolique, une arme de domination au profit de l’Allemagne. Et ce projet ne peut s’accommoder d’un compromis avec la Grèce. Car, en cas de compromis, validant la stratégie de Tsipras et de Syriza, c’est toute la politique d’austérité qui volerait en éclat (avec un encouragement très fort à Podemos en Espagne et au Sinn Fein en Irlande), non seulement au grand dam de l’Allemagne (et de ces alliés) mais aussi des hommes politiques qui, dans d’autres pays, ont construit leur carrière sur ce projet (comme François Hollande).

C’est pourquoi un compromis est en réalité une illusion. Il n’y a pas d’alternative à l’Eurogroupe que d’écraser ou périr. Il n’y a pas d’alternative pour le gouvernement grec que d’aller à l’affrontement ou périr. La fin de juin et le début de juillet seront à cet égard les moments cruciaux dans ce conflit. Un défaut grec pourrait bien être une réalité à l’été 2015.


1. En particulier la « réforme » du marché du travail. Voir le World Economic Outlook d’avril 2015, publié par le FMI, et le Chapitre 3, rédigé par Patrick Blagrave, Mai Dao, Davide, Furceri (responsable du groupe), Roberto Garcia-Saltos, Sinem Kilic Celik, Annika Schnücker, Juan Ypez Albornoz, and Fan Zhang, avec l’assistance technique de Rachel Szymanski, disponible à partir du 16 avril sur www.imf.org.

2. Legrain P., « Greece Needs to Start Playing Hardball With Germany », Foreign Policy, 10 avril 2014

3. Naulot J-C., « Le défi Tsipras », Libération, 14/04/2015.

4. http://www.lesechos.fr/monde/europe/02114542169-passe-darmes-entre-sapin-et-schauble-sur-la-france-1112348.php.

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