La main d’œuvre chinoise plus chère que les robots

Pour ceux qui, comme moi, sont passionnés par la « robolution » en cours et ses conséquences concrètes sur le marché du travail en particulier et sur nos vies en général, sachez que c’est officiel et que désormais un robot est moins cher qu’un petit Chinois, et c’est ce que démontre cet article très intéressant de La Tribune que je vous invite à lire.

Charles SANNAT

« Dans l’atelier de moulure de l’usine d’Yingli, chef de file mondial du panneau solaire, l’ouvrier se fait discret. Très discret. Sur ce parterre de quelques centaines de mètres carrés, 170 machines cylindriques préparent la matière première, le silicium monocristallin, d’autres contrôlent la qualité. Le tout en silence. De temps en temps un ouvrier apparaît, juste le temps de voir si tout fonctionne bien.

« L’automatisation nous a permis de réduire la main-d’œuvre par deux », commente Gu Kaixin, en charge de la sécurité du moulage, la première étape dans la fabrication de panneaux solaires.

Ailleurs dans l’usine, ce sont d’immenses bras qui soudent 24h/24, ou encore qui coupent, nettoient et polissent les carreaux qui forment un panneau solaire.

À Yingli, dont le site de production principal s’étend sur 66 hectares, l’ouvrier sert surtout à faire le lien entre deux lignes de production et pour le contrôle des réglages. Seules quelques tâches de vérification de la qualité, qu’un robot ne peut pas faire, sont encore manuelles.

« Yingli a pris la décision d’automatiser sa production dès 2007. On a vu ce qui se passait à l’étranger et on a compris que pour rester compétitif on n’avait pas le choix », explique Yan Wei, responsable technique au département énergie de l’usine de Baoding.

Cinq ans plus tard, en 2011, Yingli quitte son ancien site industriel et emménage à Baoding, à quelque 150 kilomètres de Pékin. L’occasion de se réorganiser et d’automatiser entièrement la production : de la préparation de la matière première à la soudure, du collage des panneaux à l’emballage.

L’entreprise est devenue entre-temps le premier fabricant mondial de panneaux solaires photovoltaïques, avec une production principalement destinée à l’exportation. La productivité a triplé et la casse des panneaux, très fragiles, été réduite à 1 %.

« On avait besoin de trop d’hommes. Le coût de la main-d’œuvre était trop élevé, son efficacité trop basse », continue Yan Wei.

« Les machines permettent de fabriquer un produit plus aux normes, la qualité est plus stable, explique quant à lui Gu Kaixin. En plus elles ne sont pas fatiguées et ne sont pas de mauvaise humeur. »

L’expérience de Yingli n’est pas unique. La problématique touche l’ensemble de l’industrie dont une partie se tourne aujourd’hui vers l’automatisation pour répondre à un climat économique et démographique de plus en plus tendu.

En fait, depuis l’année dernière, le nombre d’ouvriers – la « matière première » qui a fait le succès de la Chine des trente dernières années – se raréfie. En 2013 le pays a perdu plus de 2,5 millions d’ouvriers. Soit une chute de la population active – les 15 à 59 ans, selon les normes chinoises – de 1,6 %. Une baisse qui devrait durer au moins une génération, phénomène consécutif à la politique de l’enfant unique.

MOINS D’OUVRIERS, PLUS CHERS ET PEU COMPÉTITIFS !
Concrètement, cela donne des entreprises qui régulièrement ne peuvent remplir leur carnet de commandes faute d’ouvriers qui désormais préfèrent rester travailler chez eux, dans leur province natale, plutôt que de migrer dans le Sud ou autour de Pékin pour affronter des conditions de travail souvent difficiles. Par conséquent, les salaires sont à la hausse partout en Chine : +14 % en 2012 et +10 % ces deux dernières années.

S’ajoute à cela une productivité extrêmement faible : elle serait même négative depuis 2007 selon le Conference Board. Les usines chinoises se trouvent désormais devant le choix de déménager, vers l’intérieur des terres ou en Asie du Sud-Est où les salaires restent plus bas, d’automatiser la production ou tout simplement de mettre la clé sous la porte.

« Nous pensons que l’automatisation est la seule manière pour la Chine de rester une base manufacturière. Cela lui permettrait de demeurer compétitive et d’augmenter la qualité de ses produits », écrivent des économistes de Crédit Suisse, dans une longue étude sur le sujet.

La compétitivité est au cœur du débat. La Chine a été l’usine du monde pendant trente ans, mais désormais le coût de production est bien moins élevé chez ses voisins. Si une partie de la production bas de gamme a déjà migré, la Chine espère garder tout ce qui est de meilleure qualité et à plus forte valeur ajoutée.

« Beaucoup de raisons poussent une usine à automatiser. Entre autres la robotisation permet un meilleur contrôle de la qualité. Il y a aussi une plus grande conscience autour de la sécurité. Les entreprises améliorent l’environnement de travail », commente Pilar Dieter, associée chez Solidance, un cabinet de conseil qui a publié une étude sur l’automatisation de l’industrie chinoise.

L’époque d’une Chine avec une masse ouvrière malléable à merci est donc finie. Les ouvriers ont désormais des droits et les font respecter. Cette évolution est réclamée par le consommateur lui-même. La classe moyenne, qui compte désormais quelque 250 millions de personnes, est prête à payer plus pour des produits de meilleure qualité. Tout cela oblige l’industrie chinoise à s’adapter à de nouvelles normes économiques et sociales. D’autant plus que la refondation totale du système manufacturier chinois – peu efficace et de mauvaise qualité – figure au programme du gouvernement chinois depuis cinq ans. Une véritable politique de soutien à l’innovation et de hausse des salaires est inscrite à l’ordre du jour avec comme but premier de développer un marché intérieur – lequel doit être tiré en grande partie par la masse des travailleurs migrants. L’automatisation touche ainsi toute la chaîne manufacturière chinoise. Certains cherchent à améliorer leur qualité et la sécurité, d’autres à réduire leurs coûts ou encore à construire une marque pour l’exportation.

UNE INDUSTRIE ROBOTIQUE CHINOISE ENCORE FAIBLE
Pour l’instant la robotisation s’est surtout installée dans l’automobile : 50 % des usines du secteur sont automatisées en Chine, selon l’étude de Solidance. Rappelons que la Chine est le premier producteur de véhicules du monde, avec une production en 2013 supérieure à 18 millions d’unités. Ainsi Great Wall, fabricant local d’automobiles, a-t-il récemment investi 130 millions d’euros pour automatiser sa production dans le but d’exporter : 1 200 robots ont été installés. Un investissement qui a permis de réduire de deux tiers le nombre de soudeurs.

Progressivement, l’automatisation commence à se répandre à l’ensemble de l’industrie : l’électronique – un autre secteur clé en Chine, où sont assemblés smartphones et tablettes du monde entier –, mais aussi industries plus légères, tels l’agroalimentaire et le conditionnement. Foxconn, connu pour être le plus gros fournisseur d’Apple, mais aussi pour des suicides en série dans ses usines, a annoncé il y a deux ans la mise en place progressive d’un million de robots. Soit de quoi éventuellement, à terme, remplacer la quasi-totalité des employés de cette entreprise géante, qui en compte environ 1 300 000.

Pour l’instant, l’emploi ne semble pas menacé pour autant : le plus gros employeur chinois qui a mis en place cet été 10 000 robots pour tenir la cadence de production des iPhone 6… a en même temps embauché 100 000 intérimaires pour répondre aux exigences d’Apple. Mais le climat change : Terry Gou, le PDG du groupe Foxconn, vantait en début d’année la performance de ses « Foxbots » capables de construire 30 000 appareils par robot et par an. Ces machines autonomes, animées par un système d’exploitation intelligent développé par Google, coûtent 20 000 dollars pièce.

« Les fabricants de robots cherchent d’autres points d’entrée pour leurs machines. Ils ne veulent pas tout miser sur l’automobile », raconte Pilar Dieter, qui estime que dans les années à venir, le poids de l’automobile va baisser au profit d’industries moins traditionnelles.

« La Chine est notre plus gros marché et celui qui croît le plus vite, raconte quant à lui James Taylor, qui dirige les opérations de Universal Robots en Chine. Je pense que durant les années à venir, nous allons doubler notre chiffre d’affaires tous les ans. »

L’entreprise suédoise fabrique des robots de troisième génération, surtout pour des industries légères. Selon la Fédération internationale des robots, le marché chinois va croître en moyenne de 25 % par an. La fédération estime qu’en 2017, plus de 400 000 robots seront installés en Chine. Un nombre qui ne sera égalé par aucun autre pays.

À l’instar de Universal Robots, cela fait déjà longtemps que les gros fabricants de robots ont mis leur pied en Chine. C’est ici que ABB a installé sa deuxième ligne de production au monde. L’entreprise a aussi ouvert un laboratoire de R & D pour mieux répondre aux besoins des industriels chinois. C’est ABB qui a notamment fourni une grande partie des robots de Yingli. Mitsubishi Electric Corp, quant à elle, estime que son chiffre d’affaires en Chine passera de 60 milliards de yens (40,5 millions d’euros) en 2011 à 100 milliards en 2015 (67,5 millions d’euros). Et Kuka, autre grand fabricant japonais, affirme que la Chine représentera bientôt 25 % de son chiffre d’affaires. L’entreprise va doubler sa production sur place.

Face à ces champions étrangers, l’offre chinoise fait pâle figure. Aucun fabricant ne se trouve dans la liste des dix premiers acteurs en Chine. Pourtant une offre locale existe. Moins chère, elle a l’avantage de connaître les besoins de l’industrie chinoise. Ainsi une partie des robots installés chez Yingli sont désormais chinois. Ce sont eux qui vérifient la qualité des cylindres de silicium monocristallin. « Avant on devait les importer. Ça nous coûtait très cher », explique Gu Kaixin.

Selon l’association des fabricants de robots chinois (CRIA, Chinese Robot Industry Alliance), le pays compte 787 entreprises de robots, qui représentent à peine 30 % du marché. Une part destinée à augmenter. Car dans l’industrie de la robotique comme ailleurs, une des premières conséquences de la montée en gamme de l’industrie chinoise est sa compétitivité sur le marché mondial.

MARCHÉ INTERNATIONAL, COMPÉTITION MONDIALE

Outre Yingli, d’autres entreprises chinoises pointent leur nez à l’international. Great Wall exporte ses voitures en Asie et en Afrique. Son modèle SUV (véhicule utilitaire sport) est déjà en vente en Australie. Il coûte moitié moins cher que l’équivalent japonais. Et quatre de ses modèles ont réussi les tests de sécurité européens, même s’ils ne sont pas encore arrivés sur le marché.

« La menace est là. C’est évident. C’est un cycle naturel. L’automatisation permet aux entreprises chinoises de pénétrer le marché mondial. Ça permet aussi aux entreprises d’augmenter leur qualité et de respecter les normes internationales », explique Pilar Dieter.

Ainsi certaines marques telles que Haier (réfrigérateurs et autres biens de consommation) ou Lenovo (ordinateurs, tablettes) sont déjà bien placées et connues d’un certain public en Europe et aux États-Unis. Une réalité à laquelle devront s’adapter les marques étrangères. D’autant plus que la pénétration de l’automatisation reste extrêmement faible et devrait continuer à croître rapidement ces prochaines années. Dans l’industrie automobile par exemple, la pénétration est de 281 robots pour 10 000 travailleurs contre 1 140 en Allemagne. La Fédération internationale de robots estime que le taux de pénétration par 10 000 employés s’élève à moins de la moitié de la moyenne mondiale.

Alors, à quand un pays automatisé dominé par un secteur des services comme en Europe ? Pas tout de suite et sans doute jamais, selon les experts. L’industrie compte encore pour 44 % du PIB. La Chine est le premier producteur mondial de la plupart des produits miniers, pétroliers et chimiques. Elle domine aussi la production de machines, d’automobiles, d’équipements industriels et spatiaux. Et en dépit de l’arrivée de robots dans le processus industriel, la machine n’est pas pour autant prête à remplacer l’homme.

« Il faut situer cela dans le contexte de la Chine. C’est un pays de main-d’œuvre. Et elle le restera longtemps. La robotisation est encore marginale », estime Pilar Dieter.

Notons qu’il y a toujours 920 millions de travailleurs en Chine. Si une partie croissante de la population est éduquée et aspire à des emplois à forte valeur ajoutée, cela n’est pas la norme. D’autant plus que le taux de chômage reste l’indicateur le plus surveillé par le gouvernement… Pas question pour Pékin d’avoir des bassins désindustrialisés remplis de millions de chômeurs, synonymes, pour le pouvoir, d’autant de délinquants potentiels.

D’autres facteurs expliquent aussi la faible pénétration de l’automatisation : entre autres le coût élevé de l’investissement de départ. Beaucoup de secteurs, comme l’acier, la construction, le textile ou les jouets, ont des marges très faibles qui n’ont fait que se réduire ces dernières années. Le contexte est d’autant plus difficile que les banques, sous la pression de Pékin, ont coupé le robinet à crédit. Si les grosses entreprises d’État continuent à avoir accès à des fonds pour investir et se développer, ce n’est souvent pas le cas pour les PME, qui forment le gros du tissu industriel chinois.

« Le prix d’investissement de départ était le seul inconvénient pour nous », raconte Yan Wei, chez Yingli.

L’automatisation, nous explique-t-il, a été financée par l’introduction en Bourse en 2007. Il a fallu à l’entreprise deux à trois ans pour amortir l’investissement initial.

« Dans un pays où l’on peut encore trouver de la main-d’œuvre à 6 yuans de l’heure, le retour sur investissement doit être vraiment très clair et bien articulé pour l’entreprise », explique Pilar Dieter.

De plus, toutes les industries ne se prêtent pas à la robotisation. L’électronique par exemple est très compliquée à automatiser. Beaucoup des soustraitants sont de petite taille, les robots sont complexes à manier – contrairement à l’automobile – et, demande oblige, il faut continuellement les reprogrammer pour s’adapter aux nouveaux produits – tablettes, smartphones, montres connectées… – qui apparaissent tous les six mois.

« Chaque fois, ça fait des ravages dans les lignes de production », explique Pilar Dieter.

Lire la suite et la fin de cet article directement sur le site de La Tribune ici